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Les chiffonniers, communément appelés «barbecha», sont devenus au fil du temps des éléments incontournables dans la gestion circulaire, globale et sectorielle des déchets en Tunisie. Leur intégration de manière officielle dans l’économie circulaire tarde toujours à prendre forme pour de multiples raisons.
La Presse — La situation des «barbecha» est marquée par des conditions de vie précaires et une absence de reconnaissance officielle. Et pourtant, ces travailleurs informels jouent un rôle important en matière de gestion des déchets, en récupérant et en triant des matériaux recyclables. Mais, ils opèrent généralement sans protection sociale ni aucun droit du travail. En général, c’est tout le secteur du recyclage en Tunisie qui souffre encore d’un manque d’organisation et d’un cadre réglementaire clair.
Ce n’est qu’au cours des dernières années que l’État a commencé timidement à prendre des mesures pour mieux organiser ce secteur et tenter d’intégrer les chiffonniers dans des systèmes de gestion des déchets plus structurés. Quelques projets ont été mis en place, souvent en collaboration avec des ONG et des organisations internationales, en vue d’améliorer les conditions de travail des chiffonniers, leur fournir une formation et des équipements appropriés, ainsi que pour les sensibiliser aux questions de santé et de sécurité. Dans le même contexte, la Stratégie nationale de gestion circulaire globale et sectorielle des déchets 2035/2050 élaborée par le ministère de l’Environnement préconise, dans le cadre du plan de lutte contre la pollution par le plastique, d’intégrer les «barbecha» qui sont des emplois marginalisés dans le cadre du décret-loi n° 2020-33 du 10 juin 2020 relatif au régime de l’auto-entrepreneur.
10.000 barbecha
D’après Badreddine Lasmar, directeur général de l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged), rapportées par l’agence Tunis-Afrique Presse (TAP), la Tunisie abrite environ 10.000 ramasseurs de déchets. Ces travailleurs informels jouent un rôle essentiel dans le recyclage de 200.000 tonnes de déchets ménagers chaque année, facilitant leur réintégration dans l’économie et contribuant ainsi à l’économie circulaire du pays. Grâce à leurs efforts, environ 70.000 tonnes de plastique sont recyclées chaque année. Des systèmes de valorisation viennent compléter ces initiatives, bien qu’une modernisation des cadres réglementaires, dont certains datant de plus de 25 ans, soit nécessaire. Ces mises à jour sont jugées cruciales pour améliorer l’efficacité du secteur du recyclage.
L’Anged travaille actuellement à la révision des cahiers des charges pour encourager la création de Petites et moyennes entreprises (PME) spécialisées dans le tri, la collecte et la valorisation des déchets. Ces réformes ont pour objectif de structurer et de professionnaliser davantage le secteur afin de maximiser son impact économique et environnemental. De plus, l’intégration des «barbecha» dans le secteur formel est considérée comme une priorité stratégique de l’État. Cette initiative vise à organiser et à pérenniser une activité qui, bien qu’informelle, demeure cruciale pour la gestion des déchets et le développement durable en Tunisie.
Des mesures qui restent trop timorées, mais…
À ce propos, des initiatives ont été lancées pour formaliser les activités des chiffonniers, leur permettant ainsi d’accéder à des droits sociaux et à des revenus relativement plus stables. Par exemple, certaines municipalités ont mis en place des programmes de collecte sélective des déchets qui incluent les chiffonniers dans le processus de tri. Certaines entreprises privées de gestion des déchets collaborent directement avec des chiffonniers pour les inclure dans leurs opérations de collecte et de tri. Des entreprises comme la Société tunisienne de gestion des déchets (Stgd) ont mis en place des programmes qui les intègrent dans le processus de recyclage, leur fournissant des ressources et même une rémunération pour leur travail.
La première association des «barbecha» a été créée en 2018 à Ettadhamen-Mnihla, dans le cadre d’un projet d’intégration structurelle du secteur informel dans la gestion municipale des déchets en Tunisie, en collaboration avec l’Agence nationale de gestion des déchets et plusieurs ONG locales. Ce projet a été financé par le gouvernement allemand via l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ). La présidence de cette association, située à Mnihla, dans le gouvernorat de l’Ariana, est assurée par Ahmed Fekraoui. «La création de cette association est une excellente nouvelle pour nous les «barbecha» qui vivons dans la précarité», avait déclaré Fekraoui à cette occasion. Ses collègues aspirent à la création d’un grand centre de collecte des déchets recyclables ainsi qu’à un soutien de l’État pour l’acquisition de moyens de transport pour les matériaux collectés, tels que des motos et des charrettes.
De telles initiatives demeurent toutefois insuffisantes en matière d’intégration des chiffonniers dans le secteur formel. De nombreux défis subsistent encore, en particulier au niveau de l’acceptation sociale des chiffonniers et la nécessité d’un cadre réglementaire clair. L’évolution de la situation dépend de la volonté de l’État et de l’engagement des acteurs locaux à améliorer cette réalité.
En outre, d’autres problèmes ont été soulevés dans une étude élaborée par l’association tunisienne «Science ensemble» hébergée à l’Institut Pasteur sous l’intitulé «Les mains invisibles de la récupération. Cas des chiffonniers de Nabeul», tels que la concurrence entre les chiffonniers eux-mêmes d’une part, et d’autre part, entre ces derniers et les agents des municipalités. À cela s’ajoute le déficit de communication entre les «barbecha» et les citoyens et le refus catégorique des chiffonniers du principe même de l’organisation par crainte du paiement des impôts.
Au demeurant, ce n’est donc pas seulement l’affaire de l’État, elle est aussi celle des chiffonniers qui ont le plus grand besoin d’unifier leurs rangs.